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Abîmes ; Quelle est l'épaisseur de ce que l'on voit ?
2018

Le temps s'écoule avec les images,
Les images s'écoulent avec le temps.

Le contenu que l'on consomme,
Le fil que l'on scrolle,
La vie que l'on contemple.

Une succession de signes martelant d'artificielles évidences
Que l'on finit par accepter comme le réel lui-même.

La suspension consentie de l'incrédulité appliquée à l'existence toute entière.

Les réseaux de dispositifs attentionnels interconnectés
Forment un nouvel espace 
À cheval entre l'imaginaire et le matériel, 
Entre le fantasme et sa frustration.

Un endroit flottant où les rêves se réalisent, 
Où les vies se déréalisent.

Un endroit où tous les registres et niveaux de réalités se mêlent.

Le réel est aspiré par les écrans.
Les écrans déversent dans le réel.

Le contenu et la surface fusionnent. 
Le référent et sa copie s'évaporent
Et se mêlent l'un à l'autre dans les brumes de la synthèse.
Il est alors impossible de connaître la nature profonde des choses.

Privés de recul, sans pouvoir changer d'angle de vue,
L’œil et l'esprit ne peuvent appréhender l'espace-temps dans toute sa profondeur.
Ils se heurtent à l’opacité du monde aplati.

Devenue une formalité administrative,
Un check-up visuel pour le principe, sans marge de manœuvre,
L'existence s'écoule dans le temps de sa propre représentation.

Quelle est l'épaisseur de ce que l'on voit ?

De l'image lisse, sucrée, glacée d'un magazine de presse people,
De l'image-lumière d'un écran rétroéclairé qui se dépose sur la rétine,
De l'image mentale d'un souvenir plus ou moins flou,
De l'image-pellicule déposée sur la carrosserie d'un objet industriel...

Quelle est l'épaisseur de ce que l'on voit ?

Se poser la question, c'est admettre le doute qui plane.
Ce doute qui découle de la lassitude du spectateur
qui ne trouve plus la force de suspendre son jugement face à l'histoire qu'on lui soumet.
Car c'est bien un effort qui est nécessaire pour suspendre son incrédulité.

L'expression d'usage est « suspension consentie de l'incrédulité ». On consent à devenir crédule.
On décide de croire.
Ou de ne pas croire.

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Abîmes ; What is the thickness of what we see?
2018

Time passes with images,
Images flow over time.

The content we consume
The thread that we scroll,
The life we contemplate.

A succession of signs hammering home artificial evidence
That we end up accepting as the real itself.

The consented suspension of disbelief applied to the entire existence.

Networks of interconnected attentional devices
Form a new space
Straddling the imaginary and the material,
Between fantasy and frustration.

A floating place where dreams come true,
Where lives derealize.

A place where all ranges and levels of reality mingle.

Reality is sucked in by the screens.
The screens pour into reality.

Content and surface merge.
The original and its copy evaporate
And mingle in the mists of synthesis.
It is then impossible to know the deep nature of things.

Deprived of hindsight, without being able to change the angle of view,
The eye and the mind cannot apprehend space-time in all its depth.
They come up against the opacity of the flattened world.

Having become an administrative formality,
A visual check-up for the principle, without leeway,
Existence flows in the time of its own representation.

What is the thickness of what we see?

From the smooth, sugary, glazed image of a gossip magazine,
From the light-image of a backlit screen which is deposited on the retina,
From the mental image of a more or less vague memory,
From the film-image deposited on the bodywork of an industrial object...

What is the thickness of what we see?

To ask the question is to admit the doubt that hovers.
This doubt that arises from the weariness of the spectator
who can no longer find the strength to suspend his judgment in the face of the story that is submitted to him.
For it is indeed an effort that is necessary to suspend one's disbelief.

The usual expression is “consensual suspension of disbelief”. One agrees to become credulous.
We decide to believe.
Or not to believe.

© Aurélien Meimaris 2013 - 2024
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